Route des Résistants

[Sami Berkissian]

[Sami Berkissian]

Voilà plusieurs heures que Sami avait pris la route des Alpes et il commençait à ressentir quelques signes de fatigue.
Il ouvrit la fenêtre de sa voiture tant bien que mal, la vieillesse du mécanisme ne facilitant pas la manoeuvre.

Une brise d'air frais lui caressa le visage, ce qui lui redonna immédiatement le coup de fouet nécessaire. La sérénité était revenue au volant. Il tapota affectueusement le tableau de bord de sa vieille Citroën ZX et se dit intérieurement que la croyance populaire qui veut que les anciens modèles résistaient mieux que les récents, bourrés d'électronique, était vraie.

Alors il repensa aux montagnes, l'objectif de son périple. Il adorait côtoyer les nuages. Métaphore du pouvoir, certainement. Et cette idée soudaine lui donna l'impression de faire route au milieu de ces moutons blancs du ciel. Il avait l'âme d'un poète aujourd'hui. Et surtout l'imagination tellement fertile que tous les nuages des Alpes semblaient s'être regroupés autour de son véhicule. Sortant de ses rêveries, il réalisa qu'il était bien encerclé par de la fumée blanchâtre qui semblait émaner du moteur.

Le rythme de la voiture diminua brusquement et il se retrouva au milieu de cette route qu'il estimait aux alentours de Vauxin, complètement en panne. Haïssant les auto-stoppeurs, mais ne captant pas le moindre réseau téléphonique et n'y connaissant strictement rien en mécanique, il se résigna à lever le pouce au bord de la route...

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

Quoi de tel que de se balader avec son petit bolide alors que tout le monde s'affairait à la campagne du second tour. Résolument déterminé à prendre de l'air, Louis-Damien avait laissé les jeunes se confronter aux débats politique. Inutile de se lancer dedans, de toute façon, pour lui, la victoire d'Alexandre était actée. Jamais la gauche ne pourrait refaire son retard, encore moins avec Fervernov, aussi bon orateur soit-il. Si Vailland ne merdait pas, il allait bientôt pouvoir s'asseoir dans son fauteuil à Anthelme. Bye-bye les rouges. Il espérait que la droite de Salcedo ne ferme pas la porte à une collaboration. Après tout, maintenant que Gilbert et Kervern avaient pris leur branlée, il n'y avait plus aucune raison pour que leur ADF-bashing permanent continue.

Loin de tous ces débats politiciens, Lacroix profitait de la route. A bord de sa voiture de sport blanche, la dernière qu'il avait acheté, il parcourait les routes, profitant des lignes droites pour dépasser les 230 km/h et faire rugir sa bécane. Son expérience de pilote faisait qu'il n'était pas un danger public. Il maîtrisait le véhicule, malgré l'accès de fatigue de ces dernières semaines. Il retournait sur Vauxin en écoutant Scatman sur son autoradio. Et il roulait tranquillement, en respectant la vitesse autorisée. Il repéra une vieille carlingue sur le bas-côté et il ironisa :

- Franchement, comment on peut acheter ce vieux tacot ! Sérieusement ? Quel genre d'indigent circule à bord de cette cacahuète...

L'indigent en question, il ne tarda pas à le voir... un type qui marchait le long de la route en faisant du stop. Les trois voitures devant lui passèrent sans s'arrêter. Louis-Damien jeta un oeil. Il n'avait pas l'air d'être un pauvre type... Il mit ses warnings et s'arrêta devant le type. Il baissa la vitre et commença :

- Bonjour. Je peux vous déposer quelque... ça alors. Mais je vous reconnais ! Vous êtes... Sami ! Sami Berkissian ! Je me rappelle vous étiez à l'ADF, j'ai déjà eu votre demande d'adhésion entre les mains ! Le monde est petit !

[Sami Berkissian]

Sami fit d'abord mine de ne pas vraiment faire de stop, lorsqu'il aperçut Louis-Damien Lacroix de Beaufoy à bord du véhicule qui lui portait secours. Et puis, il se résigna à s'approcher de lui. Vu le faible passage par ici, il n'avait guère le choix.

Ce n'était vraiment pas son jour de chance. Le jour-même où il décidait de s'éloigner de la vie politique pour souffler et mieux y revenir par la suite, voilà qu'il tombait sur l'archétype du politicard frôceux. Pour lui, cette récupération sur le bord de la route avait un goût de récupération politique, chose qu'il fuyait à tout prix depuis son départ de l'ADF.

Louis-Damien était trop superficiel pour lui. Ce goût démesuré pour les voitures montrait bien que cet homme-là présentait peu d'intérêt à être connu. Lui, le littéraire, l'intellectuel, avait tout à perdre à s'afficher à ses côtés. Mais quelle solution avait-il?


Bonjour Louis-Damien. Je crois que vous avez surtout eu ma demande de démission entre les mains. Où se situe le garage le plus proche?

[Vyacheslav Vedernikov]

A fond de quatrième, Vyacheslav poussait sur cette route de montagne sa Maserati GranTurismo dans les rapports. 150, 160, il arriva presque à 170 avant un virage serré où il rétrograda avec habileté et fit rupter son moteur avec fracas. Rendu en seconde, il accéléra et fit hurler le moteur italien. Vyacheslav ne se refusait rien depuis que ses revenus de banquier d'affaires décollaient.

Au sommet d'une côte, il doubla une MacLaren blanche garée à côté d'une poubelle grise qui crachait de la fumée noire. Il freina, plus par peur d'abimer sa voiture avec un quelconque corps humain que par crainte d'écraser un conducteur en détresse. Il passa à côté de la voiture, et eut le temps d'apercevoir la tête, aussi incroyable cela puisse paraître, de l'autre contribuable centriste de Lacroix.

Dépassant ce petit attroupement, Vyacheslav ralentit, puis fit rugir son moteur au point mort tout en faisant faire de petits virages très secs à sa voiture, à la manière des pilotes de F1 chauffant leur gomme avant la course. Dans tout bon cercle automobile frôceux se respectant, ce petit signe signifiait "attrape-moi si tu peux".

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

Lunettes de soleil sur le nez, Louis-Damien avait proposé son aide sans arrière pensée. Le départ tonitruant de Sami de l'ADF avait fait jaser en interne. Il s'était bien gardé de critiquer la décision, à vrai dire, il s'en foutait un peu. La politique, pour lui, ce serait bientôt fini et définitivement. Dès que Vailland serait élu, ce serait l'occasion de faire une révérence bien méritée.

- Votre démission, oui c'est vrai. Le garage le plus proche est à une bonne trentaine de kilomètres. Je peux vous y amener. Mais à en déduire la fumée qui sort encore de votre moteur, je pense que votre voiture est bonne pour la casse. Elle aura fait son temps... Je n'ai pas pris mon téléphone portable sur moi, mais je peux vous amener à la prochaine cabine téléphonique. Comme vous voulez.

Un bruit tonitruant attira son attention. Il regarda le bolide qui venait de les doubler pour s'arrêter un peu plus loin. Lacroix connaissait trop bien ce défi. Il eut un sourire amusé et il dit :

- Amateur... mais quand même beau bolide. Dites-moi Monsieur Berkissian, vous êtes Ministre de l'Intérieur il parait, non ? Quelle est votre opinion sur ce genre d'individus ?

[Sami Berkissian]

Sami s'était peut-être fait une fausse idée de celui qu'il surnommait encore il y a peu "Lacroix et la Bannière". Il avait toujours imaginé qu'il continuait dans l'ombre à tenir les ficelles d'une bonne partie de l’intelligentsia frôceuse. Néanmoins, Sami n'était pas dupe concernant les preuves flagrantes de népotisme au sein de l'empire Lacroix, vu la rapidité à laquelle ses fils avaient accédé à des fonctions prestigieuses. Louis-Damien devait vouloir mettre à l'abri les siens, c'est certain, et combien le feraient à sa place? Si Sami pouvait aisément comprendre le père de famille, il aurait du mal à encaisser cet individu porté sur le paraître et le bling-bling.

Ce genre d'individus devrait visionner en boucle des vidéos d'accident de la route, je pense qu'il y a une indécence à vouloir battre des records au volant de tels bolides.

Jetant un oeil à la voiture de Louis-Damien, Sami se dit qu'il y était peut-être allé un peu fort.

Enfin... je ne dis pas ça pour vous... En tant qu'ancien Président, j'imagine que vous respectez le Code de la Route... Si vous pouvez m'amener à la prochaine cabine téléphonique, ce serait parfait pour moi. Je pourrai ainsi appeler un dépanneur et mon directeur de cabinet.

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

Respecter le code de la route ? Louis-Damien préféra ne rien dire. C'était rare qu'il l'enfreigne comme aujourd'hui mais cela arrivait et il se montrait vigilant.

- Montez, je vous emmène. Laissons donc cet olibrius faire le malin. C'est pas tous les jours que j'ai un homme de lettres dans ma voiture !

[Sami Berkissian]

Chemin faisant, Sami observait attentivement l'attitude de Louis-Damien au volant. Malgré de puissantes accélérations en sorties de virage, il remarqua que le conducteur s'efforçait de respecter la réglementation routière, certainement suite aux propos tenus sur les pilotes de bolides. Peut-être y avait-il été un peu fort, alors que Louis-Damien souhaitait simplement lui rendre service. Le silence se faisant pesant à bord, Sami tenta de détendre l'atmosphère.

Pas désagréable au final de se faire conduire. Je me suis toujours refusé d'avoir un chauffeur, par principe, mais j'avoue que de se faire escorter par un ancien Président a de quoi flatter mon égo.

Sami regretta immédiatement cette familiarité soudaine, toujours tiraillé entre le service rendu par Louis-Damien et l'éthique qu'il s'imposait à ne pas fréquenter ceux dont il contestait les méthodes.

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

- Flatter votre égo ? Vous devez être un des seuls à penser cela ! Beaucoup d'hommes politiques auraient préfèré marcher plutôt que d'être en ma compagnie. Mais je ne leur en veux pas, de vous à moi, pour parler franchement, je m'en fous. La politique, tout ca, c'est bientot terminé. Le temps de faire élire quelqu'un à ma succession de l'ADF et puis ciao la compagnie. Je vais pouvoir retrouver mes circuits, l'odeur du pneu cramé et du bitume... Ma famille ! Ah ca va me faire un bien fou !

Il eut un grand sourire. Puis il ajouta :

- J'ai toujours refusé d'avoir un chauffeur... J'ai essayé une fois... Mais je me suis ennuyé à mourir. Je me rappelle que Christian, Valmont, avait été obligé de me réveiller... Je ne veux pas faire un défaut de politesse mais qu'est-ce qu'un Ministre fait en rade dans un endroit un peu paumé comme celui-ci ?

Juste a ce moment là, un animal passa en travers de la route. Surpris, Louis-Damien ? Non... Il freina juste ce qu'il fallait pour ne pas l'écraser. Ce fut un peu brusque mais parfaitement maitrisé. Il ironisa :

- Il n'aurait plus manqué que ca... Qu'en plus de l'AIF, de la bibliothèque nationale, de l'echec de la droite, on vienne me dire que je tue les animaux. Alors là je ne vous dis pas les écolos... Non seulement j'ai une voiture de course mais en plus je porte atteinte à la biodiversité ! Ca va ? Pas trop secoué ?

[Sami Berkissian]

Blanc comme un linge, Sami dut fermer les yeux à trois reprises pour reprendre ses esprits avant de répondre.

Disons que votre conduite est quelque peu... sportive. Savez-vous si la prochaine cabine téléphonique est encore loin? Pour ma part, si je suis ici c'est parce que je prenais la route des Alpes. Or, voyez-vous, en partant d'Elrado, cela m'oblige à passer par Vauxin et ses alentours. Et vous, vous ne prêtez pas main forte à Vailland de Chirey pour son débat du second tour? Cela pourrait être un fabuleux tour d'honneur avant votre retrait de la vie politique, non?

Son estomac produisit un gargouillis relativement fort, que Sami tenta de camoufler avec une pseudo-quinte de toux.

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

- De vous à moi, nul besoin d'un tour d'honneur. J'ai hâte de tourner la page, définitivement. Et les autres se débrouillent très bien sans moi.

Louis-Damien avait repris la route. Ils arrivèrent à la station service... Fermée... La cabine téléphonique était à l'extérieur mais elle n'avait pas l'air fonctionnelle.

- La cabine est ici. Vous voulez que j'attende au cas où ?

[Sami Berkissian]

En voyant la cabine, Sami fut presque déçu de devoir interrompre leur conversation.

Ah... euh oui si vous pouviez rester dans les parages, cela aurait de quoi me rassurer, si bien sûr cela ne vous dérange pas.

Sortant du véhicule, il s'approcha du combiné qui semblait dater de l'époque de Graham Bell tant les inscriptions des touches étaient effacées et les fils dénudés. Glissant une pièce dans l'appareil, il décrocha mais n'entendit pas la moindre tonalité... Jetant un coup d'oeil rapide aux alentours, il comprit aisément que son seul salut viendrait de Louis-Damien. Il retourna donc, tête baissée, sur le siège passager.

Visiblement ils ont omis de payer l'abonnement ici. Me voilà bien embêté. Savez-vous s'il y a des chances de pouvoir trouver un lieu similaire à celui-ci mais dans un état de délabrement moins avancé?

[Louis-Damien Lacroix de Beaufoy]

EL/ Navré pour le temps de réponse, j'ai été débordé par mon travail IRL.

- C'est vrai que ça fait un petit moment que je n'ai pas vu Henri, le gérant. Depuis qu'il a perdu sa femme, il n'est plus vraiment le même. Il a perdu sa flamme.

Il laissa Sami remonter à bord et après un temps de réflexion, il finit par lui proposer :

- Je n'habite pas très loin, si vous voulez, vous pouvez utiliser mon téléphone, tant que vous n'appelez pas à l'international pour que ça ne me coûte pas une blinde. Et au moins, vous aurez un endroit pour attendre au chaud. Ca vous convient ?

[Sami Berkissian]

[HRP : ce RP se déroule toujours le 19/01/2015]

Sami était surpris. Louis-Damien connaissait-il réellement le nom du gérant de la station-service ou était-ce juste du bluff pour l'impressionner? Marquant un temps d'arrêt il décida de ne pas rebondir sur ce "name-dropping" impromptu. Il voulut néanmoins détendre l'atmosphère.

La Septimanie est-elle classée dans l'International en Lombardie?

Ressentant le froid provoqué par sa petite boutade, Sami regretta immédiatement cet élan de folie. Louis-Damien lui proposait donc de passer au sein du foyer Lacroix-Le Menn. Si un seul photographe traînait dans les parages, il était mort politiquement. Mais une fois de plus, sa raison le rappela à l'ordre.

Votre proposition me va droit au coeur. Je ne serai pas long, juste le temps de contacter mon directeur de cabinet.

La gêne s'était invitée en troisième passagère du véhicule et Sami aurait donné n'importe quoi pour que tout ceci ne soit qu'un rêve.