Bureau du Président

[Alban Jumelin]

[Alban Jumelin]

Alban méditait depuis plusieurs minutes sur l'essai qu'on venait de lui transmettre pour avis. Quelque chose le dérangeait dans le style mais il ne saurait pas identifier quoi dans l'immédiat. Soudain, il se rappela que sa secrétaire lui avait laissé un post-it urgent. Il prit son téléphone, composa un numéro et s'éclaircit la voix, le regard lointain.

Monsieur Berkissian? Alban Jumelin, Président de Jumédition à l'appareil. Ma secrétaire vous a contacté ce jour car nous serions intéressés de vous compter dans nos rangs. Seriez-vous disponible ce jour, à tout hasard?

[Sami Berkissian]

Sami frappa à la porte et entra dans le bureau lorsqu'il entendit qu'il y était invité. Alban Jumelin se dressait au milieu d'un très grand bureau au mobilier moderne.

Bonjour Monsieur Jumelin.

Il lui tendit la main et la serra chaleureusement.

Je suis venu au plus vite. Heureux de vous rencontrer.

[Alban Jumelin]

Alban fut sincèrement très heureux de voir Sami Berkissian passer la porte de son bureau.

Monsieur Berkissian! Quel plaisir de vous rencontrer en chair et en os. Je vous en prie, asseyez-vous.
Je suis un fan de la première heure et je crois avoir été un des premiers à acquérir Elrado de la Méduse. Une merveille littéraire. Bravo! Mais votre précédent éditeur était-il donc fou à lier pour vous avoir laissé partir et empocher un tel pactole en indépendant avec la réussite de votre autobiographie?

[Sami Berkissian]

Sami détestait affreusement le cirage de pompes. De telles formules de brossage dans le sens du poil pouvaient se compter par milliers dans sa carrière. Des profiteurs voulant croquer une part du gâteau sans que rien de concret ne se profile à l'horizon, il était capable d'en citer une bonne centaine, de tête. Son visage se ferma et il voulut recentrer la discussion.

Monsieur Jumelin, qu'attendez-vous de moi?

[Alban Jumelin]

Alban avait été prévenu du caractère direct de Berkissian. S'il avait essayait de ne pas en tenir compte au premier abord, il comprit rapidement qu'il n'aurait pas le choix. Il faudrait parler franchement.

Monsieur Berkissian, Jumédition veut faire de vous son auteur-phare. Et nous sommes prêts pour cela à vous prouver que nous diposons des moyens de nos ambitions. Le récit à la première personne est très vendeur de nos jours, preuve en est le succès de votre dernier opus. Succès indéniable.

Voyant que Berkissian ne décolérait pas, il passa à la vitesse supérieure.

Sami, je sais que vous me prenez pour un de ces cireurs de pompe qui ne cherche qu'à faire du fric sur votre dos. Que je néglige votre côté bankable serait un horrible mensonge inacceptable de ma part, mais je cherche davantage en vous. Vous avez un tempérament, une gueule,une plume. Et ça, personne ne peut le contester. Par ailleurs je crois que votre expérience gouvernementale a dû laisser quelques séquelles en vous. Je fais erreur?

[Sami Berkissian]

Sami commençait à percevoir le petit manège de son interlocuteur. Surfer sur la vague de son précédent livre pour descendre le gouvernement actuel en flammes. Derrière son sourire Colgate, Alban Jumelin lui faisait l'effet d'un manipulateur.

Vous attendez de moi une autobiographie concernant mon passage gouvernemental. Mais à qui profite le crime, Monsieur Jumelin? Au Mouvement Socialiste?

[Alban Jumelin]

Sami, restons sérieux je vous prie. Si vous insinuez que je me sers de mon entreprise au profit de mon engagement politique, alors je me sens profondément insulté. Vous pouvez quitter la pièce si c'est l'image que je vous renvoie. Pour information, voici ce que je souhaitais vous proposer.

Alban glissa une chemise contenant les modalités du contrat. Il se leva et partit jeter un oeil par la fenêtre qui donnait sur la ville, l'air songeur.

[Alban Jumelin]

De retour dans son bureau, Alban paraissait perturbé.

Cette discussion avec Romain Kelmann à la sortie de la clinique avait été correct, mais Kelmann savait visiblement ce qu'il voulait. Alban de son côté n'avait plus le luxe de négocier, même si Kelmann demandait une grosse enveloppe. Il fallait relancer sa maison d'édition, sinon c'était la clef sous la porte. Signer Berkissian à tout prix était une question de vie ou de mort. Le problème c'est que l'état de santé de l'écrivain suscitait le même constat. Chaque jour Alban était suspendu aux nouvelles des médecins.

Une autre option à laquelle il avait pensé était une cotation en Bourse, mais la loi de l'offre et de la demande pouvait se révéler plus cruelle qu'il n'y paraissait.

Le téléphone sonna. Le numéro de son principal investisseur. Alban décrocha, la main tremblante.


- Allô?... Alban Jumelin. Bonjour Monsieur. Comment allez-vous?
- J'irais beaucoup mieux si je pouvais être confiant pour l'avenir de Jumédition.
- J'ai de quoi vous rassurer. Berkissian se rapproche.
- ... de la mort, effectivement. Depuis le temps que je vous demande des résultats, vous attendez qu'il soit mourant pour l'approcher?
- Les médecins restent confiants. Et j'ai été contacté par son agent.
- Son agent? Berkissian a un agent?
- Depuis peu apparemment. Un certain Kelmann.
- Kelmann? Romain Kelmann? Je ne savais pas qu'il se lançait dans les affaires.
- Le petit point que je voulais voir avec vous, c'est qu'il demande plus que prévu. Forcément, il veut sa part.
- Accordez-lui. Quel est le plan si Berkissian ne s'en remet pas tout de suite?
- Nous pensions à une ré-édition de ses anciens succès. Dans un premier temps, nous pourrions ré-éditer "Elrado de la Méduse" en poche et générer des produits dérivés comme un album sur l'enfance de Berkissian avec ses photos familiales, le tout agrémenté par des citations de son livre.
- Bien. J'attends de vos nouvelles. Rapidement.


L'appel terminé, Alban prit son smartphone et tapa un sms à l'attention de Romain Kelmann.
OK de mes investisseurs. Passez me voir pour signer.

[Romain Kelmann]

Romain entra dans le bureau sans même frapper, avec une désinvolture et une suffisance agaçantes, dont le seul but était de provoquer. Il avait réalisé un gros coup et il le savait.

Sympa ici. Un peu froid, mais sympa. Alors, où est le papelard?

Romain sortit un stylo de sa poche, jeta un coup d'oeil rapide au contrat posé sur la table et le signa. Puis il jeta son papier, qui atterrit dans le visage d'Alban.

Toutes mes excuses. Avec mes compliments.

Puis il quitta la pièce. Dans l'ascenseur, Romain composa un numéro sur son smartphone qu'il plaça contre son oreille, en arborant un grand sourire.

Encore moi. Vous avez bien fait de l'appeler pour lui mettre la pression, la signature a été plus rapide.