Frôce - Archives V3

Alexandre arriva assez tard chez ses parents. Avec la rénovation de la Médiathèque Nationale, il avait du travail à n'en plus finir. Il gara sa moto dans la cour et rentra dans la maison, dont il avait les clés. Visiblement son frère et sa mère étaient couchés. Son père, lui, travaillait dans le salon sur ses comptes, puisqu'il avait sorti sa calculatrice et ses chéquiers. Il posa son casque dans l'entrée puis il s'approcha de son paternel pour lui faire la bise.

- Tiens, papa, t'aurais pas 100 pluzins à m'avancer ? J'en aurais besoin pour aller à Paris demain. Je te rends ça quand ma paie tombe.

Louis-Damien était particulièrement content de voir Alexandre mais quand ce dernier parla oseille, il eut un vieux réflexe :

- 100 pluzins ??? Je ne sais pas si ça va être possible. Tu sais, le début d'année n'est pas facile...

Il s'interrompit, et questionna, en haussant un sourcil :

- Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

- Pour le grand rassemblement, pardi ! Je me dois d'y être, ces enfoirés ont quand même tué 17 personnes !

L'oeil pétillant, il ajouta :

- 100 pluzins, c'est le prix de la réplique à l'identique de la plaque d'immatriculation de James Dean que je t'ai offert pour ton anniversaire et que tu n'as donc plus à acheter. Je sais que tu l'avais prévue dans ton budget. Et puis, c'est pas comme si je n'allais pas te rendre cet argent, hein !

Faisant abstraction de la remarque de son fils sur la somme, Louis-Damien hocha négativement la tête :

- Non non non ! Tu ne vas pas aller à Paris ! Pas avec ces kamikazes qui peuvent faire péter tout le monde au même endroit ! C'est absolument hors de question ! Non mais je rêve ! Il y a une manif à Aspen, tu n'as qu'à aller là-bas. Primo tu économiseras des sous et deuxio, tu seras davantage en sécurité !

- Ecoute, papa, je ne suis pas là pour avoir ton autorisation. Je suis majeur et vacciné, je décide ce que je veux faire. J'ai besoin d'aller à Paris, je dois y être, pour ma conscience personnelle. Et puis, le gouvernement français a prévu tout un dispositif de sécurité. Il y aura même le Président, Marc Schaft !

Il était quand même surpris que ça soit son père qui se montre réticent. D'habitude, c'était sa mère qui s'inquiétait...

Louis-Damien s'emporta, sans élever la voix, cependant :

- Le Gouvernement français ??? C'est une blague ! Hollande et sa clique ont été incapable de voir venir cet attentat ! 17 morts ! Tu parles d'un bilan ! Et tu voudrais me faire croire que tu serais en sécurité ? Dans ce pays gouverné par des socialistes laxistes et mous comme un caramel ? Les gauchistes ont toujours sous-estimé la sécurité, et ensuite ils s'étonnent de ce qui leur arrive !

Alexandre n'aimait pas les remarques de son père, puisque lui-même était socialiste. Il fut même un peu surpris par ses propos.

- Je te signale que maman est une gauchiste, ça ne t'a pas empêché de l'épouser et de vivre avec elle sans le lui reprocher tous les jours ! Et ça ne l'a pas empêché d'assurer la sécurité du pays après la restauration de la République !

Le père Lacroix répondit au tac-au-tac :

- A la différence près que ta mère a déjà tenu une arme dans sa main et qu'elle n'avait pas un charisme de moule comme Hollande et son entourage !

Il tapa du poing sur la table. Il y eut un silence pesant qu'il finit par briser :

- Je ne vais certainement pas t'aider à mettre ta vie en danger, point final.

- Ok... au moins ça a le mérite d'être clair. Mais j'irais quand même et tu le sais...

Il soupira.

- J'ai parfois du mal à te suivre, papa... Tu as validé une alliance centre-gauche, alors que tu détestes la gauche. Tu as bétonné mon dossier pour entrer à la Bibliothèque Nationale, en me disant que je faisais ta fierté et tu me reproches mes idées et mes combats... Tu m'as toujours dit que l'on pouvait se dire les choses sans prendre de gants. J'ai l'impression de t'avoir déçu à un moment, je me trompe ?

Louis-Damien était épaté par l'intelligence d'Alexandre. Il fit un signe négatif de la tête.

- Non. Il ne s'agit pas de toi. Et oui, je suis fier de toi, de ton frère et de ta mère. Je n'ai pas confiance en ceux avec qui tu partages ces idées, c'est tout. Bien sûr que tu es libre de faire ce que tu veux. Mais je ne vais pas t'aider à faire ce que je désapprouve.

Il se leva :

- Tu as faim ?

- Non ça va, j'ai déjà mangé vite fait tout à l'heure.

Loin d'être convaincu par le propos de son père, Alexandre eut soudain un éclair de génie, comme il en avait souvent. Un éclair qui l'inquiéta...

- Dis, tu devais pas faire des analyses suite à tes problèmes de vertiges ? C'est ça, pas vrai ? C'est ça le problème... Qu'est-ce qu'ils ont décelé ? Maman est au courant ? Et Daniel ?

Louis-Damien lui fit un geste de la main :

- Chut ! Moins fort !

Il s'assura que sa femme et son autre fils n'ait rien entendu. Puis il concéda, à voix basse :

- Les analyses de sang ont révélé des éléments anormaux... Les vertiges seraient causés par un état de fatigue général et persistant. Le médecin a dit que c'était normal vu la faible quantité de globules rouges que j'ai dans le sang... Ils ont détecté une carence en fer, en magnésium. Ils cherchent à savoir ce que c'est, mais l'hypothèse de la leucémie a été avancée.

Il ajouta, rassurant :

- Rien n'est confirmé, j'ai rendez-vous demain dans un institut privé à Aspen, un spécialiste a accepté de me recevoir. Je ne veux pas en parler à ta mère et à Daniel, pas tant que je ne sais pas ce que j'ai. Il est hors de question qu'ils soient inquiétés.

Comme son jumeau, Alexandre n'avait jamais su cacher ses émotions. La peur et l'inquiétude s'installèrent dans ses yeux bleus.

- Une leucémie... putain de bordel de merde ! Pardon...

Son père détestait la vulgarité.

- Je viens avec toi demain, et ce n'est pas négociable !

Il fronça les sourcils au juron de son fils.

- Et ta manifestation alors ?

- Tant pis... c'est égoïste ce que je vais dire, mais ma famille est plus importante qu'une manif...

Il s'approcha de son père et l'enlaça. Il avait toujours été très spontané.

- Ce sera sans doute rien... faut pas t'inquiéter.

C'était touchant car il était le plus angoissé des deux...