Occupé à préparer sa spécialité d'encornets à la tomate, Buster se tenait dans la cuisine, devant son plan de travail, en train de détailler les oignons. Il les jeta dans l'huile d'olive qui frémissait dans la céramique d'une poêle sur le feu à induction. Il n'entendit pas la porte d'entrée se refermer.
Un homme, de stature moyenne, mais d'une corpulence relativement sèche, s'approcha dans de lui, en prêtant attention à rester dans l'ombre.
- Bonsoir Domnhall.
Buster se figea. Domnhall. Personne ne l'appelait comme ça. Il faut dire qu'ils étaient peu nombreux, ceux qui savaient vraiment qui il était. Il se retourna.
- Baldomero.
- Pour te servir, cher ami.
Baldomero Ruiz pris l'une des tomates posée sur le plan de travail, et la contempla faussement. Il donnait toujours cette sensation étrange de personnage éthéré, aérien. Le moindre de ses gestes était précis, méticuleux. Inquiétant de précision. Affreusement inquiétant.
- Qu'est-ce que tu veux, Baldo ?
- La même chose que toi Domnhall.
- Ne m'appelle pas ainsi ... Personne ne doit savoir.
Ruiz effectua un tour sur lui-même.
- Personne ? Qui d'autre le sait ?
Buster ne répondit pas.
- Que veux-tu ... Encore une fois ?
- Je te l'ai dit ... Je veux la même chose que toi. Ou plutôt, c'est toi qui veut la même chose que moi. Parce que personne ne doit savoir, Domnhall.
La mine de Buster se renfrogna.
- Je t'ai déjà dit que je ne peux pas. Pas pendant une élection. Cela se verrait trop. Je n'agis que dans l'ombre. Il y a trop de lumière sur lui.
- Comme tu voudras, Domnhall.
Buster détestait le ton que Ruiz employait en prononçant son nom irlandais. Il savait que ce que celui-ci voulait lui montrer, c'était qu'il disposait toujours d'un moyen de pression.
- ... Bon. Je vais le faire. Mais je ne pourrais pas toujours t'aider, Baldomero.
- Tu t'aides toi-même, Domnhall. Tu t'aides toi-même ...
Le patron de Xarxa disparut dans l'ombre, et l'on entendit à peine la porte se refermer derrière lui. Buster se sentit seul. Étrangement seul. Lui qui avait pourtant l'habitude de cette solitude dans laquelle il se complaisait. Elle lui devenait un fardeau indicible aujourd'hui. Et il allait devoir tuer Alka Seltzer. Une difficile mission. L'homme était un ancien des renseignements polonais. Et il était en ce moment sous les projecteurs, du fait de sa deuxième place sur la liste de la majorité sortante. Buster savait pourtant que c'était un homme gênant, qui en savait trop. Mais il avait préféré l'ignorer pour le moment. Et Ruiz venait de débarquer, réclamant sa tête.
Vraiment, Buster était seul ce soir.