"Un café serré sans sucre s'il vous plait"
Sur ces mots, François boutonna sa veste avant de s'asseoir confortablement sur le canapé en cuir marron. Il se mit à l'aise en étalant un bras sur le haut du sofa et exécuta un sourire de convenance pendant qu'on lui servait la boisson chaude. Une fois la secrétaire repartie, il finissait de scruter ses hanches pour se tourner vers son interlocuteur. Une première goutte prudente lui suffit à se mettre au travail. Quelques documents sortis de sa chemise, il désigna une photo retouchée :
"Regardez, Vedernikov, qu'en pensez-vous?"
C'était l'affiche de campagne. Sans laisser le temps au slave de répondre, François poursuivit :
"Pour vous répondre, je ne suis effectivement pas le genre de personne à se déplacer pour prendre des nouvelles. Un coup de téléphone suffit amplement. Sans faire dans l'arrogance facile, c'est de mes nouvelles que l'on prend d'habitude. Et si ça peut vous intéresser, je vais bien. Je vais très bien. Je vais même si bien que je prends le temps de vous voir pour vous offrir une opportunité de carrière à laquelle dire non reviendrait à vous tirer une balle dans le pied"
A cet instant, François se rendit compte qu'il allait peut-être trop vite en besogne. Après tout...
"Vous avez connu la guerre, Viacheslav. Vous ne vous tireriez jamais une balle dans le pied, n'est-ce pas?"
Il eut un air sardonique avant de se resservir une autre gorgée. Il reposa ensuite la tasse sur la table.
"Vous ne m'êtes pas familier et je ne vous suis pas familier non plus. Mais nous sommes tout deux des gens pour qui la distance ne représente que très peu d'incidence sur notre esprit d'observation. Nous sentons les choses vous et moi. C'est rare, des gens comme ça.
Nous ne sommes familiers l'un envers l'autre mais je crois savoir que vous en savez déjà assez pour comprendre que je ne m'avance pas dans des projets sans perspective, que je ne me lance pas dans une aventure que je sais perdue et vouée à tout échec. Comprenez ce que vous avez à comprendre dans ce que je viens de vous dire, mais tout comme la discrétion, l'attente du retour sur investissement est une valeur noble des affaires. C'est peut être ce qui me rapproche des hommes d'affaires d'ailleurs, à ceci près que l'argent ne m'intéresse pas et ne m'a jamais intéressé. Le pouvoir lui, dépasse l'argent et le surplombe aisément de sa gigantesque épaisseur"
Il s'interrompit un instant pour s'accorder quelques secondes de réflexion avant de poursuivre face au silence de son interlocuteur :
"Il est temps pour vous de passer à une autre étape. Des coulisses du monde de l'argent passez aux coulisses du monde du pouvoir. Celui qui vous donne accès aux grands décideurs, aux passeports diplomatiques, aux gardes du corps et à l'influence concrète de la décision politique. Celle qui ne laisse place à aucune incertitude, celle qui s'applique contre vents et marées en dépit des protestations, celle qui s'inscrit dans le marbre en imposant son héritage pluriséculaire. Enfin, celle qui permet d'accomplir de grandes choses qui resteront gravées dans les mémoires.
Allons droit au but : je ne suis là que pour vous demander deux choses simples qui ne souffrent d'aucune contrepartie. La première, tenez moi à jour du climat des affaires. La seconde, acceptez ma proposition d'être le chef de cabinet du président de la République une fois le scrutin terminé. Mais de grâce, ne me demandez ni comment je parviendrai à accomplir ce dessin ni si j'ai besoin de votre appui puisqu'il n'en est rien. J'ai déjà fait le nécessaire, tout ce qu'il fallait pour entuber tous ceux qui pensent avoir une réelle influence sur l'issue du scrutin présidentiel alors qu'ils ne sont que les instruments de mes ambitions personnelles. Tous, sans exception"